Conversations fertiles 1 - Souveraineté alimentaire, une industrie résiliente
Avec Nicolas Willaume, Responsable affaires publiques et représentation chez ICL et Jean-Luc Pradal, Directeur France de Fertiberia
Qu’entendez-vous par souveraineté alimentaire ? Comment votre industrie s’insère dans cet enjeu de taille ?
NW – Au sein de notre entreprise, nous parlons plutôt de sécurité alimentaire, car pour nous la souveraineté alimentaire passe avant tout par la sécurisation de la production agricole. Notre rôle en tant qu’acteur industriel stratégique est de proposer des solutions adaptées aux agriculteurs qui permettent de produire et de pallier cette insécurité alimentaire. Nous souhaitons produire mieux, avec la bonne dose de fertilisant, au bon endroit. Afin de faire face aux différents aléas que peut subir l’agriculture, nous sommes capables à l’heure actuelle d’offrir les solutions adaptées à ces défis (environnementaux, sociétaux, etc.).
JLP – Quand nous parlons de souveraineté ou de sécurité alimentaire, nous devons réfléchir à l’échelle européenne, et également penser en termes de filière car bien sûr il est important d’avoir in fine assez de blé pour nourrir le monde mais il ne faut pas oublier d’intégrer les moyens de fournir les intrants en amont et transformer en aval. En tant qu’entreprise, nous nous devons de ne pas être dépendants de producteurs qui ne partagent pas les mêmes valeurs et éthique industrielle qui prévalent au sein de l’Union Européenne (UE). Le fait d’importer des matières premières issues de pays fragiles (politique, réglementation, économique) pourrait en effet impacter la Ferme France sur le long terme.
Les fertilisants nourrissent le monde : pensez-vous que cette acception a du sens ?
JLP – Les fertilisants contribuent à nourrir la terre et les hommes, c’est un fait. Ce qui est primordial aujourd’hui est qu’il y a également un enjeu environnemental fort, car pour mieux nourrir le monde, il faut également le préserver.
NW – Les fertilisants nourrissent les sols et les plantes, et assurent les récoltes qui permettront de nourrir le monde. Nous devons aujourd’hui nous focaliser sur l’optimisation de la nutrition végétale et cela passe notamment par la réduction de l’empreinte carbone des engrais, que ce soit à la production ou à l’utilisation. Il faut avoir à l’esprit que l’on va atteindre 9,8 milliards d’êtres humains sur la planète d’ici 2050 alors qu’en parallèle le nombre de terres arables diminue. Cela veut dire qu’il faut produire plus avec moins : la production des engrais de demain, c’est-à-dire de fertilisants plus efficaces ayant moins d’impact sur le climat, est primordiale dans cette équation.
De multiples enjeux sont liés à cette transformation : enjeu de fabrication, enjeu de réduction des pertes au champ, enjeu de circularité, etc. Par exemple, concernant les engrais que nous produisons, nous recyclons des phosphates déjà utilisés pour in fine proposer un engrais plus durable qui permet également de réduire la dépendance de l’UE aux importations extérieures.
Comment œuvrez-vous, à votre échelle, pour la sécurité et la souveraineté alimentaire de la France ?
NW – Pour nos entreprises, cela se situe au niveau européen. En effet, l’Europe veut devenir un continent neutre en carbone à partir de 2050. ICL partage bien évidemment cet engagement et nous devons donc nous adapter pour que la production alimentaire et les engrais deviennent neutres en termes d’impact sur le climat. Mais il ne faut pas oublier que la sécurité alimentaire est en jeu. Trouver le bon équilibre entre enjeu climatique et sécurisation de la production est primordial afin d’assurer une alimentation durable sur le long terme. Cela passe notamment par la réduction de l’empreinte carbone de nos solutions et par l’innovation (produits améliorant l’efficience de la nutrition et réduisant les pertes, services, sensibilisation et formation de la filière, outils de production, …).
JLP – Nous travaillons sur la dépendance énergétique et l’empreinte carbone de nos engrais pour mieux nourrir le monde. Nous concentrons nos efforts, grâce à la recherche et l’innovation, à substituer l’énergie fossile que nous utilisons par de l’énergie localement produite et renouvelable. Actuellement, nous convertissons nos unités d’ammoniac (utilisées pour produire les engrais azotés) pour ne plus être dépendants du gaz naturel en le remplaçant par de l’hydrogène vert. Nous avons lancé quatre projets, dont un en Suède et trois en Espagne, qui devraient augmenter notre capacité d’ammoniac issu d’énergies non fossiles. A l’orée 2028, nous souhaitons ne plus dépendre du gaz naturel et nous prévoyons la neutralité carbone dans notre production pour 2035.
Autre point d’importance : nous optimisons nos produits grâce à l’innovation, pour limiter les pertes de nutriments au champ et surtout les émissions de gaz à effet de serre inhérents à la fertilisation azotée. En ce sens, il y a aussi un rôle de la filière à jouer en amont, notamment avec la distribution agricole, pour sensibiliser les agriculteurs à des bonnes pratiques d’utilisation de ces fertilisants.